Geoagiu Baï est une petite ville coupée en deux : le village d'en haut est un centre thermal, bâti autour d' un ancien site romain. On peut visiter les thermes de l'époque romaine.
Les anciens thermes et la source d'eau chaude
Canalisations anciennes
C'est aussi une ville de cure avec ses piscines (toutes neuves), ses hôtels (luxueux), ses cars de touristes et de curistes...
Contraste flagrant avec le village du bas, beaucoup plus rural et plus modeste...
Mais ce fut surtout la visite du quartier Rom qui m'a personnellement marquée...
Le mot qui m'est tout de suite venu à l'esprit fut celui de
"ghetto"
Pour s'y rendre, il faut d'abord passer la rivière par une petite passerelle piétonne...c'est un quartier caché, que l'on dissimule aux yeux de tous, d'accès difficile, et pour y aller, il faut y habiter ou bien comme nous, accompagner le médecin et l'assistante sociale dans leur travail quotidien...
Sentiment d'oppression, de voyeurisme...qu'est-ce-que je fais là, à regarder la misère la plus totale et la plus résignée...aucune agressivité cependant...
Simona l'assistante sociale et Dan le médecin sont attendus, remerciés...on sent qu'ils sont acceptés, qu'ils ont fait un travail de fond et qu'ils ont engagé avec les habitants de ce quartier des relations de confiance...
Maisons délabrées, sans eau ni électricité, des familles de 10 à 12 personnes dans une pièce...handicap mental, enfants aux yeux éteints, adultes submergés par un quotidien hostile, visages résignés comme s' il n'y avait plus rien à faire...violence larvée, prostitution, saleté, apathie qui fait mal....
La boue autour du point d'eau, les poubelles qui débordent (il y a des containers poubelles, mais le camion ne passe pas dans ce quartier)...
Enfants pieds nus,et pour certains carréments nus, alors que j'ai sur le dos un sous-pull et une veste polaire...J'ai depuis longtemps rangé l'appareil photo, je me sens inutile...Marie, Jocelyne et moi, ne nous regardons pas...L'interprète traduit des paroles de bienvenue, des explications...mes yeux se brouillent et je n'entends plus rien...
Simona, l'assistante sociale, ressent mon malaise et essaie de communiquer avec moi en anglais...Elle me raconte la misère quotidienne, le rejet de la population roumaine, l'exclusion, la difficulté du quotidien...
Grâce à elle, nous rentrons dans les familles...Quelques maisons ont été construites par la mairie, nous en visitons une très bien tenue, cela doit donc être possible d'essayer de s'en sortir...le mari est parti travailler en Espagne et envoie de l'argent...
Avant de repasser la passerelle métallique pour sortir de ce ghetto, nous croisons le taxi, affrété par les souteneurs pour emmener les jeunes filles et les femmes se prostituer sur la grande route où passent beaucoup de camions....
J'interroge Dan, le médecin : sida, MST, contraception?...
Il est fataliste et ses réponses évacuent les problèmes : elles peuvent prendre RV avec le médecin d'état, c'est gratuit....Il faut plusieurs jours de délai et faire la queue dans la salle d'attente...Quand on est autant marginalisée, désocialisée, que l'on vit dans l'urgence et la misère, où et comment trouver la force de se projeter dans l'avenir?...Pas de cas de sida, mais pas de dépistage...
Résultat, la plupart des femmes ont des enfants très jeunes...
Nous remontons dans notre mini-bus,nos regards se croisent, les larmes jaillissent... nos amis roumains sont gênés de voir notre abattement et nos réactions...Il nous faudra du temps pour évacuer et digérer cette réalité...
Nous allons visiter les thermes anciens, nous marchons jusque la cascade...
C'est la même ville...Comment sont partagées les richesses?...éternel problème...
Une question tourne en boucle dans mon esprit : et moi, qu'est-ce que je ferais dans la même situation?...si je voyais mes enfants crever de faim?...si je vivais dans l'exclusion, la misère et le dénuement?...
Pas de réponse...